HEURE FAVORABLE

 

HENRIETTE :L’heure sera bientôt favorable.
Minuit, l’heure du crime, mais aussi l’heure des fantômes.
D’abord un petit coup de Saint Alyre.
Mmmm !
Voilà qui fait du bien.
Puis le guéridon.
Ah ! J’allais oublier. Un petit verre.
Ma chaise… Une bougie… Eteignons.
Non... d’abord une petite gorgée… Voilà.
Eteignons maintenant la lumière. Qu’il ne me reste que la bougie !
Tire-toi de là, sale matou. Tu as failli me faire casser la gueule ! Il me faut bien un petit verre pour me remettre de la trouille que ce chat de malheur m’a faite. Bon
aintenant, du calme avec la boisson, sinon je ne pourrai pas leur parler.
Esprit, es-tu là ?
Esprit, es-tu là ? Merde, réponds ! Je ne vais pas passer toute la nuit à t’appeler ! Esprit, es-tu là ? Oh ! quelle fumée ! J’aurais pas oublié mon rôti dans le four ? Esprit... Ca marche ! ! !

TOULOUSE-LAUTREC : Voilà, voilà, j’arrive. As-tu préparé l’absinthe ?

HENRIETTE : La quoi ?

TOULOUSE-LAUTREC : L’absinthe pardi ! Tu ne sais donc pas recevoir ?

HENRIETTE : A quoi ça ressemble ?

TOULOUSE-LAUTREC : A du Pernod, mais c’est bien meilleur.

HENRIETTE : J’ai que du Ricard.

TOULOUSE-LAUTREC : Je connais. C’est dégueulasse. Je prendrai mon absinthe. J’en ai toujours sur moi.

HENRIETTE : Put... Pardon, j’allais dire une grossièreté. Tu la ranges dans ta canne ! Et t’as le verre avec ! C’est génial. Il faudra que tu me dises où je peux en trouver une pareille. Avoir toujours ma gnôle avec moi ! Le rêve ! le pied ! The méga-foot ! Ah ! je vais épater les potes avec ça !

TOULOUSE-LAUTREC : Tu en trouveras une chez un marchand de cannes ou, si tu peux pas en avoir, il y a la mienne dans mon musée…

HENRIETTE : Dans ton musée ?

TOULOUSE-LAUTREC : Oui, à Albi ! Je suis le peintre Toulouse-Lautrec. Le plus grand peintre de tous les temps !

HENRIETTE : Le plus grand ! Tu n’exagères pas un petit peu ? Tu fais à peine un mètre !

TOULOUSE-LAUTREC : On ne se moque pas de ma taille. Interdit ! D’ailleurs, elle ne m’a pas empêché d’avoir les plus belles femmes pour maîtresses ; Tiens, Yvette Guilbert, ta grand-mère.

HENRIETTE : Mais alors, t’es Henri ! T’es peut-être mon grand-père ! Même que c’est pour ça que je m’appelle Henriette !

TOULOUSE-LAUTREC : Tu es presque aussi jolie qu’Yvette. Je la revois quand elle chantait : Un fiacre allait trottinant… Et puis qu’est-ce que j’aimais la peindre, la dessiner !

HENRIETTE : Oui, je sais, j’ai des dessins dans un vieux carton…Plein !

TOULOUSE-LAUTREC : Avec un seul d’entre eux, tu pourras te payer des douzaines de cannes.

HENRIETTE : Oh ! ça non. J’ai promis de ne pas les vendre.

TOULOUSE-LAUTREC : Bon. Pourquoi m’as-tu appelé ?

HENRIETTE : Je n’ai pas appelé que toi. J’ai appelé tous ceux qui veulent parler avec moi du passé, du siècle qui se termine.

TOULOUSE-LAUTREC : Bon. Je comprends. Venez vous autres !

Babacool : Salut la compagnie ! T’as pas cent balles ?

HENRIETTE : Babacool ? Mon mari ? T’es là, espèce de salopard ? Alors, tu m’as plaquée pour aller je ne sais où et tu reviens aujourd’hui ?

B Oui, mais mort ;

HENRIETTE : c’est pas moi qui te plaindrai. Tu m’as laissé les 5 gosses à élever et t’as pas pris de nouvelles pendant tout ce temps.

TOULOUSE-LAUTREC : La ferme. On ne va pas perdre du temps avec vos histoires de ménage. On n’a que la nuit devant nous. Aussi soyons sérieux. Je te présente mes potes. Charles de Gaulle

HENRIETTE : Monsieur le Président, quel honneur

CDG : Si je suis là, c’est bien que ça fait partie du boulot. Passer une nuit avec une vieille rombière comme vous n’a rien d’agréable.

B : Oh Charlot ! tu n’es plus président ! C’est à ma femme que tu parles !

CDG : Toi, le beatnik

TOULOUSE-LAUTREC : Du calme. N’oubliez pas que les morts doivent avoir une certaine retenue. Charles, tu feras ton bridge avec Marilyn demain soir. Elle est occupée ce soir par Monica qui veut lui demander des conseils.

CDG : C’est vrai. Mon chef de cabinet ne me l’avait pas rappelé

TOULOUSE-LAUTREC : Tu n’en as plus. Tu es un mort comme les autres. Bon et voici notre quatrième : Jeanne Calment

HENRIETTE : Punaise ! Que du beau linge… A part baba !

B : Oh ! lâche-moi la grappe, tu veux ! Chez nous, c’est démocratique. Tous égaux. Je suis heureux. Ce dont j’ai rêvé durant toute ma vie ! C’est parce que nous n’étions pas égaux que je suis parti à Katmandou.

CDG : après avoir mis la chienlit dans le pays avec un quarteron de soi-disant étudiants !

TOULOUSE-LAUTREC : Arrête avec tes mots bizarres. Tu n’es plus qu’un mort comme les autres. Et puis tu ne vas pas te plaindre. Tu les avais bien cherchés, les événements de 68 !

CDG : Toi, le nabot barbouilleur, je ne te permets pas…

TOULOUSE-LAUTREC : Oh ! Du calme, grand Charles. sinon, demain, tu ne verras pas Marilyn. Je t’enverrai chez une autre tourneuse de guéridon.

CDG : Je m’incline… pour l’instant. J’ai perdu une bataille, mais pas la guerre.

B : Tu te répètes. Celle-la tu l’as déjà sortie le 18 juin.

TOULOUSE-LAUTREC : Il faudrait renouveler ton vocabulaire. La chienlit, le quarteron, l’appel, tout le monde connaît.

JC : Bon, c’est pas tout, parlons de choses sérieuses. Que veux-tu savoir ?

HENRIETTE : Quel est pour vous l’événement le plus important de ce siècle qui s’achève ?

TOULOUSE-LAUTREC : Pour moi, c’est la mort du président Félix Faure.

B : C’était en 1899, banane